Bonsoir à tous!
Suite (ou plutôt début…) de l’article de J.-F. Mézergue, dans le Sud-Ouest Dimanche du 13 novembre 1983.
[Bien sûr, cet article est disponible dans les archives papier du journal Sud-Ouest. Mais alors que les moteurs de recherche présentent des dizaines de pages sur les Lady Gaga et autres personnages ô combien remarquables, une Paule Lippmann ne fait, elle, l’objet d’aucune référence sur le plus célèbre d’entre eux… Navrant. Fort heureusement, Michel Olaçabal est, lui, un peu plus demeuré dans les mémoires. Même s’il souffre de la concurrence d’un homonyme qui fait dans le football…]
Pyrénées : les fantômes de la frontière.
Au cours de la dernière guerre mondiale, environ cinquante mille personnes, Français et étrangers, ont échappé à l’occupation allemande en franchissant les Pyrénées. Une véritable épopée dont les passeurs basques, béarnais, bigourdans, haut-garonnais, ariégeois et catalans furent les acteurs. A Pau et à Sainte-Engrâce, une dame de 81 ans et quatre hommes se souviennent.
Rue Carrère, à Pau, au quatrième étage de la résidence le Ronsard, l’appartement délicatement meublé est impeccable, comme la dame tirée à quatre épingles qui dispose deux parchemins, une médaille et un album de photographies sur la table du salon.
Paule Lippmann, 81 ans, vit avec ses souvenirs : deux certificats attribués pour l’aide apportée aux soldats anglais et à ceux de l’U.S. Army entre 1939 et 1945, la croix de guerre avec étoile de bronze et des documents jaunis mais toujours présents. La vielle dame tourne lentement les pages, effleure les images du doigt et parle. Recto, un groupe de jeunes gens émerge de la fougère des Pyrénées. Le flou d’un cliché d’amateur accentue l’impression de clandestinité. Verso, un passeur, Michel Olaçabal, béret enfoncé jusqu’aux oreilles, chemise militaire et bas du pantalon enfoui dans des chaussettes de laine, plante son bâton dans un champ de marguerites. À côté, encore Michel Olaçabal. Coiffé de son inséparable béret et chaussé d’espadrilles, il pose d’abord seul, puis verse le « canon » de l’amitié à d’autres pensionnaires du camp de Miranda (Espagne). Dessous, les enfants de Michel Olaçabal, décédé en 1982, à l’âge de 79 ans. Recto, devant l’hôtel de ville de Pau, la foule des civils et des militaires assaille une voiture décapotable. Dans la voiture, une silhouette familière se penche dans une attitude qui deviendra légendaire. Le général de Gaulle salue la France profonde de la Libération. Au premier plan, une jeune femme au chapeau noir sourit, admirative, et applaudit. « C’est moi ». Le doigt de Paule Lippmann s’arrête. « C’était juste après la guerre, au temps où Lapuyade était maire. Oui, un grand moment… » Elle tourne la page. L’image subsiste.
Ces toilettes, ces costumes, ces uniformes sont passés de mode depuis belle lurette. Paule Lippmann ne les oubliera jamais. Aujourd’hui, ils envahissent de nouveau l’appartement du quatrième étage. Les souvenirs ont force de vie.
L’évasion des « quatre hirondelles ».
Les années de guerre. Native de Bidart, Paule Lippmann habite Pau depuis l’âge de 10 ans. Le père a quitté le foyer. La jeune fille vit avec sa mère rue Castelnau. « Un jour, un gars me demande de l’aider ». L’engrenage. L’employée de banque sans histoire se fond discrètement dans la colonne des combattants sans uniforme. Au service du maquis, elle prend le train en gare de Pau et porte des messages à un pharmacien de Mauléon. « Comme quelqu’un qui va au ravitaillement. » La voilà résistante, membre de l’Amicale des réseaux de la base E.
Dans le même temps, des gens arrivent de Toulouse à Meilhon, d’où ils espèrent atteindre l’Espagne. « Un jour, quatre aviateurs, deux Américains, un Canadien et un Anglais. Nous en cachons deux à la maison pendant trois semaines : l’Anglais et le Canadien, Yves Lavoie, qui plus tard, nous adressera un paquet et une lettre. Parfois nous tremblons un peu car une pétainiste loge dans l’appartement du dessous. Nous nous réconfortons en nous persuadant qu’elle n’est pas une personne à dénoncer qui que ce soit. Elle ne le fera pas. Un soir, nos parachutistes partent comme les ouvriers allant travailler à la montagne et nous disent : ‘’Si un jour vous entendez à la radio : les quatre hirondelles se sont posées, vous saurez que nous avons réussi’’ ». Quelque temps après, le message est diffusé, Paule Lippmann et sa mère sourient à l’espoir.
Elles hébergent d’autres fugitifs. « Une fois, alors que ma mère et moi sommes à table, une espèce de géant frappe à la porte. Il est décidément trop grand et je suis très inquiète. Ses pieds dépasseront sûrement du divan… » Cela n’empêche pas le passager de dormir à points fermés en attendant le départ pour l’étape de la liberté.
Quand il y a trop de monde à la maison, Paule couche chez une amie et rentre ponctuellement à 7 heures pour ne pas donner l’éveil dans le voisinage. « À la suite d’une dénonciation, les allemands font irruption chez nous où des parachutistes sont dissimulés. Miracle ! Ma mère raconte aux intrus une histoire qui endort leurs soupçons. Ils repartent bredouilles ». La vieille dame jubile.
1943 ou 1944 – la mémoire des visages et des faits est plus sûre que celle des dates -, Michel Olaçabal, passeur impénitent, accomplit une mission à Barcus. À la tête d’une file de clandestins, il progresse sur les sentiers qui mènent à une ferme accrochée au flanc de la montagne. Un jeune paysan cache les compagnons du passeur. Olaçabal fait demi-tour, à la rencontre d’un deuxième groupe. Quelques heures après, au terme du second voyage, la ferme est déserte. Le jeune paysan de Barcus est mort, fusillé par les Allemands ; la bande, à portée du rêve espagnol, prisonnière des Allemands. Le passeur et les nouveaux arrivants battent en retraite. Michel Olaçabal se replie à Pau, rue Castelnaud, chez Paule Lippmann. Il y séjourne trois semaines, franchit les Pyrénées et échoue au camps de Miranda. Libéré, il gagne le Maroc. Il se souviendra longtemps de sa dernière randonnée de passeur ; la plus cruelle.
Deux Tchèques pour 914 francs.
Sur le pas de la porte d’une maison engoncée dans le bourg de Sainte-Engrâce, Barthélemy Dronde accueille des visiteurs. Ce n’est pas dimanche ni jour de fête. L’ancien facteur de la commune s’est pourtant mis sur son trente et un. Lorsqu’il reçoit pour parler de choses graves et anciennes, il se change. C’est la moindre des courtoisies. Cet homme de 71 ans ne prétend pas à l’héroïsme. Passeur d’occasion il a été. Une fois.
Août 1942. Fils de paysan, Barthélemy travaille chez son père. À Sainte Engrâce, il connaît tout le monde et joue à la pelote avec les douaniers. Un après-midi, allant chercher les chevaux au pré, il surprend deux hommes en train de chaparder des pommes dans une grange. « Deux tchèques, la trentaine bien bâtie ». On ne parle pas la même langue ; les gestes tricotent un dialogue sommaire mais cohérent. « Les fugitifs sont affamés. Ils veulent me payer les pommes, je refuse. Je les ramène à la maison. » Les étrangers souhaitent accéder à la frontière. Barthélemy s’en ouvre à un oncle qui « trafique » dans la contrebande. Celui-ci fait la sourde oreille. Atterrés d’échouer si près du but, les Tchèques insistent. Bathélemy Dronde connaît bien la montagne et le col de Bimbaleta qui bascule en Espagne. Il cède. « Après le repas, nous partons. Il est 22h 15. Nous montons comme des éléphants, à la queue leu leu en nous tenant par les bâtons. Défense de parler. » Les trois hommes avancent lentement, passent à cinq cent mètres des gendarmes. À 4h 30 le lendemain matin, la frontière est proche. « Ils n’ont que 914 francs sur eux. Je les prends pour la nourriture. Ils proposent leurs blousons de cuir pour le supplément. Je les leur laisse. » On se sépare. Le passeur recommande aux fuyards de suivre les piquets en bois d’if qui, depuis 1870, balisent le chemin des contrebandiers. L’Espagne est au bout. Un an après l’armistice, Barthélemy Dronde épouse la postière de Sainte Engrâce et abandonne la charrue pour la tournée du facteur. L’épisode des Tchèques reste à jamais gravé dans sa mémoire.
(…) [ici commence le récit rapporté dans mon post précédent] « Pour rencontrer des gars qui ont fait passer du monde, poussez jusqu’à Chohourt, chez les frères Eyheramendy »…
Dernière édition par Jidé le 16 Sep 2013 16:44, édité 2 fois.
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