Refuge de l’Ull de Ter – Pla Guilhem - Tour de Batère
Ce n'est pas un lever comme les autres. Après avoir rapidement enfilé mes vêtements, je vais réveiller Véron, qui s’apprête aussitôt. Nous nous retrouvons dans la salle à manger où il m'offre un café et je partage avec lui mon gâteau de riz. Alors que j’avale une banane, je suis surpris de le voir déjà prestement boucler son sac. En un clin d’oeil, il est prêt à partir. J'expédie mes dernières bouchées et nous partons vivement. Pour la première fois, le topo guide, la boussole, l'altimètre sont enfermés dans le sac. Alerte, mon guide marche régulièrement, avec une aisance souveraine. Je sens bien qu’il est parfaitement dans son élément, chez lui. Une infinité de détails infimes caractérisent chaque marcheur. Henri, mon maître ès montagne et premier de cordée, n’avait pas son pareil pour distinguer ceux qui frimaient en sur-régime, ceux qui commençaient à peiner, ceux qui étaient vraiment en forme, ceux qui couraient à la défaillance, ceux qui s’éterniseraient aux pauses… Georges Véron, lui, déroulait ses pas, sans à coup, souplement, corps bien redressé, tête haute. Il donnait une impression de stabilité, de maturité extraordinaire, qui me rappelait les témoignages d’accompagnateurs d’Haroun Tazieff, rassurés par son calme dans les pires conditions. Nous échangeons sur nos vies, nos pratiques sportives, la montagne. Il est bien d’accord pour considérer que la notion de record n’a pas de sens pour une traversée des Pyrénées, me raconte l’accueil mitigé qu’il a reçu dans le milieu montagnard, car originaire de la Sarthe. Aucune ombre ne plane sur notre tandem provisoire, pas la moindre envie de rivaliser en paroles. Délicieux partage fraternel, simple, détendu, dans une ambiance de sympathique promenade. Ni moi, ni lui, me semble t’il, ne sommes habituellement bavards en montagne, mais l’exception confirme la règle ! C’est toujours un miracle de trouver instantanément la bonne longueur d’onde dans une relation nouvelle. Nous en profitons pour repérer nos parentés de goûts et d’expériences, glissant sur nos différences. C’est ça le respect, considérer autrui comme digne d’attention, d’estime, d’égards, sentir qu’une seule goutte de mépris peut gâcher la qualité d’une rencontre. Aîné ou cadet, peu importe, si chacun s’enrichit de la valeur de l’autre. Après m’avoir mis l’eau à la bouche, Georges Véron me promet de m’envoyer le compte rendu de sa traversée de 1968. Ici, l’eau est prise au sens figuré, car, tous deux, nous découvrons que nous avons oublié de remplir nos gourdes pour cette étape semi aride, déjà bien arrosée de soleil. Véron s’inquiète, moi, tout au plaisir de cette rencontre exceptionnelle, je flotte au dessus de cette contingence. Pourtant la soif ne va pas tarder à nous tenailler. A proximité du Pla Guillem, mon illustre compagnon, déchiré entre l'envie de m'accompagner plus loin et le devoir de respecter ses engagements familiaux, dont la fête du 15 Août, décide de rejoindre sa femme. Après un casse-croûte, durant lequel je note sa sobriété, me voici condamné à sortir les instruments d'orientation. Nous nous quittons chaleureusement, mais je sens Véron inquiet pour mon manque d’eau et mécontent de sa bévue, pour moi bien innocente. Retour sur terre, finie la fête, Georges Véron vient de disparaître dans la descente de la piste. Quel vide ! J’ai du mal à retrouver le fil de mon aventure, mon ressort a disparu, je pense même à abandonner. Après un moment de marche machinale, le goût de marcher sur le vaste plateau renaît lentement. Loin devant moi, un groupe d'excursionnistes attaque la montée du pic des Septhommes et me sert de point de mire. Je me lance à leurs trousses, suant et soufflant comme un damné. La distance qui nous sépare fond rapidement, et je rejoins l'arrière du groupe peu avant le sommet. Seuls trois jeunes gens m'ont précédé au sommet, ce qui m'a distrait un bout de temps et relancé dans la traversée. A ma courte honte, je mendie une gorgée d'eau, qu'ils m'accordent volontiers, puis, suivant la crête, je vais monter le pic Rougeat. Ma salive s'est transformée en pâte épaisse que je racle avec l’ongle. C’est le prix à payer pour l'étourderie de ce matin, qui m'a fait partir la gourde vide. Heureusement pour moi, que le soleil ne donne pas toute sa chaleur ! Georges Véron m'a parlé d’un puit de neige, hors itinéraire, où je devrais trouver de l'eau. Au risque de prendre un bain glacé qui serait mortel, j'y descends, sans piolet, avale des moitiés de gourde, qui me scient l'estomac. Le moral remonte aussi à proportion de l'eau que je bois et de celle que j'emporte. Une dette de plus vis à vis de mon guide, qui lui, peut-être encore, rôtit sans eau. La suite de l’étape, sous le regard du splendide Canigou, n’a pas le même goût que son début. « Les éboulis menant à la Porteille de Leca m'offrent un massage énergique des chevilles. Des promeneurs, d'un geste vague de la main, m'indiquent la position des mines de Batère. Ce parcours de crête manque vraiment de confort pour les pieds. La chaleur augmente nettement, tandis que je monte le Gallinasse. Il ne me reste plus longtemps à marcher, peut-être une heure trente, mais, tirant trop à droite, je rate le Pel-de-Ca et m'éloigne des mines de Batère en descendant la mauvaise crête. Le courage me manque pour remonter les 300 mètres de dénivelé que je viens de perdre sottement. En vain, je tente de lutter contre cette immense lassitude qui m'envahit et m'écrase. J'ai envie d'abandonner, de me coucher, de cesser de lutter. La fatigue entrave mes jambes, me faisant décrire de ridicules lacets presque sur place. Désespéré, j'entame une traversée à flanc pour tenter de rejoindre la bonne arête descendant du Pel-de-Ca. Les premières centaines de mètres sont faciles, mais cette voie de compromis ne biaise pas longtemps avec les difficultés. Rapidement, je me trouve engagé dans un redoutable ravin, d'où j'essaie de me tirer sans casse. Après avoir pris de gros risques sur un terrain peu fiable, je parviens à sortir de justesse de ce mauvais pas. La crête descendant vers le col de la Cirère mélange les herbes, les rochers et les arbrisseaux, ce qui rend la marche saccadée et particulièrement pénible, mais améliore ma situation. » Abrégeons, après avoir vécu l’exaltante rencontre du créateur de la HRP, il faut du temps pour retrouver ses billes et la montagne !
Dernière édition par Bourdon le 06 Fév 2021 11:16, édité 2 fois.
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