Bonjour,
Grand amoureux des Pyrénées et petit pyrénéiste
, cela fait bien longtemps que je connais et que j’apprécie votre forum.
Au retour de vacances (pyrénéennes, comme il se doit…) j’ai été surpris et heureux de voir que les Évadés de France y étaient mentionnés, et qu’y figurait même la référence au petit article écrit par mon père à la mémoire d’Eloi Eyheramendy.
http://jcbm-evade-de-france.pagesperso- ... PIERRE.HTMEt même un post d’un de mes petits cousins avec lequel je n’ai pas communiqué depuis bien longtemps ! Comme quoi, internet peut participer au rapprochement des familles !
Puisque Beiret me mentionne, je me permets d’ajouter une petite contribution, à partir de quelques uns des documents retrouvés chez mon père.
D’abord un extrait d’un bel article du regretté J.-F. Mézergue, dans le Sud-Ouest Dimanche du 13 novembre 1983.(l’article étant trop abîmé pour être scanné, je ne reproduis pour le moment que le passage concernant les frères Eyheramendy).
Pyrénées : les fantômes de la frontière.[Le texte commence par évoquer la résistante Paule Lippmann et le passeur Michel Olaçabal.
Puis il est question des frères Eyheramendy].
(…) « Pour rencontrer des gars qui ont fait passer du monde, poussez jusqu’à Chohourt, chez les frères Eyheramendy ».
Après la descente et la traversée du torrent, la route escalade à nouveau la pente. Le soir obscurcit la vallée et grandit la montagne. Chouhourt, un lieu-dit, une ferme assise dans la nuit. Le goudron s’abîme quelques lacets plus loin, dans le no man’s land des sommets. Le bout du monde.
375 personnes en trois ans.
Une ampoule anémique pâlit les ombres de la vaste cuisine. Eloi Eyheramendy, 76 ans, Jean, 65 ans, et Pierre, 59 ans, sont assis au coin de la cheminée. Twist, le seul chien de Sainte-Engrâce chassant le sanglier, leur tient compagnie. Une marmite fume au-dessus de la flamme, trois pommes posées sur la plaque de fonte cuisent à petit feu. Le plat du jour et le dessert. Seul luxe de la maison : le transistor posé sur la toile cirée de la table.
Trois existences rivées aux douze hectares escarpés de la ferme mijotent dans le silence d’une complicité de toujours. Les Eyheramendy n’ont plus besoin de mots pour s’entendre et se comprendre. Il y a les travaux en commun, quelques rares escapades à Tardets, « où les voisins qui ont une voiture les portent », et les soirées au coin du feu. Il y a aussi, et pour l’éternité, les trois cent soixante-quinze Français, juifs, Anglais et autres qu’ils ont guidés entre 1942 et 1945, sur les sentiers des cols de Bimbaleta et de Bellay. Les certificats encadrés délivrés le 1er décembre 1949 pour « l’aide généreuse apportée aux prisonniers, déportés, évadés français ou combattants des armées alliées tombés au pouvoir de l’ennemi », et signés par le général de Gaulle et le général de Larminat, président de la commission des passeurs, en témoignent.
Fin 1942. À Chohourt, les échos de la guerre sont ténus. La vie aux champs emprunte le sillon des saisons. Le père Eyheramendy, Laurent, enfonce le soc, les fils le suivent. Un jour, un cousin de Licq-Athérey accompagne une troupe d’officiers d’aviation venus de Mérignac. Il faut les aider à passer. La nuit prochaine. À la ferme de Chohourt, on ne s’encombre pas d’états d’âme. Les questions indiscrètes n’agressent pas les visiteurs.
« Nous les passerons !» La lune éclaire le premier convoi d’une course semée d’embûches – trois heures et demie pour les bons marcheurs, davantage pour les autres – sur des itinéraires que les frères connaissent depuis l’enfance.
Le cousin de Licq et d’autres ont trouvé la filière. Avec les Eyheramendy, le passage est assuré, la discrétion garantie en prime. « En 1943, ça devient plus difficile. Les douanier à la frontière et la Gestapo à Tardets redoublent de vigilance. » Les premières missions accomplies avec le naturel d’un long atavisme, les Eyheramendy persévèrent. On « passe des gens » comme on ensemence le moment venu. En bons paysans de la montagne du pays de Soule.
En juillet, une lettre anonyme dénonce les Eyheramendy. Un après-midi, Pierre est arrêté au bord du torrent où il pêche la truite. Le lendemain, Eloi et Jean, à leur tour interpellés au moment du repas de midi, les rejoignent au siège de la Gestapo à Tardets.
« Ils nous gardent trois jours et trois nuits en cellule. On interroge Eloi les yeux bandés. Un lieutenant des douanes est le plus méchant. Il y a aussi un adjudant, un français… » Les Eyheramendy ne parlent pas, ils sont relâché. De retour à Chohourt, ils se terrent plusieurs jours sous un rocher. Le père leur apporte le déjeuner avec des ruses d’Indien. Ils ne sont pas repris et recommencent le manège. « Par trois fois, nous convoyons des familles avec femmes et enfants. En juillet 1943, nous avons un groupe de quarante-quatre personnes. Par le col de Bellay. Il y a des Français, des Anglais et un peu de tout. À cent mètres de la frontière, une rafale de mitrailleuse. Un gars de Domezin, à côté de Saint-Palais, tombe contre moi. Un certain Labat. Il est tué, raconte Eloi. Ce jour-là , parmi les évadés, il y a le docteur P. Durban, de Bordeaux. Plus tard, il nous écrira et nous enverra des bouteilles de vin ».
Au début, un Espagnol les aide. Il est arrêté et déporté fin 1943 ou début 1944. Les évasions ne cessent pas pour autant. Jusqu’à l’Armistice, les frère Eyheramendy s’obstinent.
Un moment saisi par on ne sait quelle folie, le plus jeune, Pierre, émet le vœu de suivre un convoi en Espagne. « Le défunt père s’y est opposé. » Pierre s’incline. Le père meurt en 1947. Pierre ne songe pas à transgresser le veto du mort. Il reste à Chohourt… avec Eloi et Jean, ses aînés.
Quarante ans après, des bribes de phrases, entrecoupées de longs silences, égrènent un chapelet de souvenirs qui n’a pas l’amertume des regrets ni celle des illusions perdues. À la ferme de Chohourt, trois frères avares de confidences parlent d’un quotidien banal comme la pluie et le beau temps. « Oui, on en a ‘’passé’’ du monde… » Trois cent soixante-quinze personnes, par Bimbaleta et Bellay. « Ils donnaient ce qu’ils voulaient. On servait à manger et jamais on n’a réclamé d’argent à personne. » La marmite continue à fumer sur la flamme. À Sainte-Engrâce, les frères Eyheramendy n’ont jamais abandonné la tenue ni la règle de vie austère des soldats sans uniforme. Passeurs pendant trois ans et montagnards de toujours.
J.-F. Mézergue.
Un encart de l’article cite la grande spécialiste Emilienne Eychenne (Les Pyrénées de la Liberté, les évasions par l’Espagne 1939-1945, Éditions France Empire, Paris 1983, qui «a retrouvé la trace de 2393 passeurs et agents de passage, 2453 avec quelques anonymes à peu près localisé, 2500 chiffre rond pour être sûre de n’oublier personne… » Elle trouve : 137 morts en déportation, 6 fusillés dans les prisons, 2 fusillés en otage à la Libération, , 5 tués en opération pour les passeurs, 6 tués chez eux, 5 blessés, 2 « suicidés », 3 péris en montagne, 205 déportés qui reviennent, 600 emprisonnés plus ou moins longtemps, soit 1031 qui ont eu des ennuis très sérieux pouvant aller jusqu’à la mort pour 61 d’entre eux (près de 7%)…
Puis un « courrier des lecteurs » de Grégoire Carricaburu, de Cognac, à propos de cet article, qui corrige les erreurs de date :
« C’est avec plaisir que j’ai lu dans votre journal le document concernant les passeurs dans les Pyrénées. Étant l’un des 375, j’ai particulièrement apprécié le passage concernant les frères Eyheramendy (qui pour nous, gens du pays sont les frères Chohourt – le nom de la maison primant celui de l’état civil). Seule nuance, l’épisode de ‘’juillet 1943’’, où fut tué notre compagnon d’évasion Labat, s’est déroulé le 12 mars 1943 qui, si j’en crois mes souvenirs, était un dimanche. Grâce à la présence d’esprit de nos passeurs qui nous dirigèrent sur le col de Bellay plutôt que sur celui de Bimbaletta, moins haut et moins enneigé, la tragédie fut limitée, d’autres Allemands nous attendant sur ce dernier col [sur le premier ; c’est moi qui corrige]. En cette triste période où toutes les occasions sont bonnes pour salir ces sombres années de notre histoire, je veux rendre hommage au courage et au désintéressement des frères ‘’ Chohourt ‘’ ».
Ce courrier anticipe et confirme le récit de mon père.
Et voilà les merveilleux « frères Chohourt » (Xuhurt, selon la graphie basque), dans l’honneur de leur simplicité, « pour l’éternité », selon le mot de J.-F. Mézergue.
Eloi (Ã droite) et Jean Eyheramendy (Ã gauche) en septembre 1986 Ã leur maison de Xuhurtia.
Pierre (Ã droite), avec Jean Eyheramendy (au centre) et Pierre Durban, Ã Xuhurtia en octobre 1991.
(photos de Jean Gailhard, mon cousin, père de Denis, « Zelaian » sur le forum).
[pour les modos : si c’est possible, il serait intéressant de fusionner ce fil avec le fil « Liberté », dans la même rubrique].
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