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Je reprends (en bleu) le récit de Pierre Durban en l’illustrant de quelques remarques et photos (notre « reconnaissance » commence au pont de Bilho. Je n’ai pas fait le trajet qui va de Montory à Bilho).
« Nous descendîmes à travers prés, dans le plus grand silence, vers la route qui suit l'Uhaitza. En effet, si les parcours précédents étaient situés loin de toute surveillance allemande, il n'en était pas de même pour la route de Sainte-Engrâce, continuellement parcourue, jour et nuit, par les patrouilles allemandes, fortement équipés, renforcées de chiens policiers.
À quelques dizaines de mètres au-dessus de ce dangereux chemin, nous nous couchâmes dans l'herbe, sans le moindre bruit ».
Le texte fait allusion ici aux pentes qui descendent de la montagne de Sombiague, vers le vallon où monte maintenant une route qui va vers la ferme Bohopé.

« Au galop, nous traversâmes la route, et nous nous jetâmes vers le torrent que franchissait une mauvaise passerelle ».

La passerelle de Bilho dans son état actuel.
« À quelques dizaines de mètres, dans une vieille maison, un chien hurla à la mort. (Heureusement, les Allemands étaient loin). La rive gauche de l'Uhaitza est en pente très rude, nous la gravîmes toujours au galop, pour nous écrouler sur l'herbe d'un faux plat, épuisés, après une dizaine de minutes ».
Une route monte maintenant sur cette rive gauche de l’Uhaitza pour aller vers la ferme Saguguidoya. Après environ 200m de dénivelée, un panneau indique la direction de Ste Engrâce. À partir de là, le sentier se maintient aux alentours de 400m d’altitude jusque vers les granges de Jandoy..

Même si la route existait à l’époque, je pense que les évadés sont plutôt montés directement à travers prés dans des pentes qui sont maintenant envahies par les ronces et les fougères.

« Nous pûmes bientôt repartir, cependant, à la file indienne, derrière notre guide. Devant nous s'ouvrait un sentier en corniche, quelquefois dangereux, dominant souvent à pic la gorge profonde. Nous passions sous le pic Jaura, et montions vers Kakoueta ».

Le sentier est impressionnant vu de la route, et quelques passages sont un peu étroits, « quelquefois dangereux » de nuit bien sûr, mais de jour ils ne présentent pas de réels problèmes, même avec un peu d’humidité (à éviter totalement avec neige ou verglas, par contre !). Il continue apparemment à être un peu fréquenté, peut-être pour l’entretien des ouvrages hydrauliques auxquels il mène.

« Mais, sortant de la gorge, nous trouvâmes assez vite des prairies moins tourmentées, au niveau de Xuhurtia et du col des Trois Croix (en Basque : Lexartzüko Lepoa) ».
Xuhurtia, la ferme des Eyheramendy.
Ici, le texte est bien rapide et peu détaillé, et peut-être la mémoire de Pierre Durban lui a-t-elle joué des tours. J’en ai discuté avec Didier Constance, qui tient le gîte d’Espondaburu. Il a bien connu les frères Eyheramendy, dont il était le plus proche voisin. En plus d’être excellent cuisinier, il connaît très bien le terrain. Pour lui, le chemin « historique » ne passait sans doute pas par Jandoy (au bout du chemin en corniche), encore moins par Xuhurtia, comme il est dit, ni par l’actuel sentier balisé du col des Trois Croix qui passe par Espondaburu, mais devait monter par le ravin de Suhutzé pour rejoindre le col des Trois Croix en longeant le pic Jaura, par un sentier actuellement quasi impraticable. Mais je ne suis pas allé voir de ce côté.
Notre reconnaissance s’est alors poursuivie par le chemin balisé qui monte au col des Trois Croix (et qui n’est donc sans doute pas le « chemin historique »).

Départ du chemin balisé, depuis l’arrivée du sentier en corniche à Jandoy.
En partant du beau camping Ibarra, de chez la sympathique Maryse Erreçaret (environ 300m), jusqu’au pylône de Otchogorria (1400m), il y a environ 1100m de dénivelée positive.

Dans la montée, vers Eztérètchia.

Sous le regard du Seigneur du lieu, le pic d’Anie.

Au col des Trois Croix.
Nous sommes passés par les sommets de Zegnhaguia et Negumendi,

mais le « chemin historique » passait sans doute sur le flanc est, au niveau des ruines d’Orkhatzolhatzé (ni les bergers, ni les évadés n’avaient en effet intérêt à augmenter la dénivelée en montant et descendant). Mais sur le flanc, nous n’avons trouvé que des traces de vaches ou brebis couvertes par le taillis. Difficile de retrouver et de suivre le véritable chemin. Passer par le haut semble donc plus facile dans les conditions actuelles.

L’Orhy domine ce versant.
« L'altitude se précisait, dans une steppe assez monotone, vers 1300 mètres, aux lieux-dits : Negumendi, Abarrakia, Otxogorria.... enfin, vers trois heures du matin, nous arrivâmes sur un vieux cayolar, perdu, au-dessus des gorges fameuses de Kakoueta ».
Il m’est difficile de préciser de quel cayolar il s’agit ici.
« La steppe s'élevait, peu à peu, vers 1400 mètres dans la région de Sarmendi. Après les lieux-dits Izeito, Igelua, en sortant du dernier petit bois de haute altitude ».

Sarimendi, depuis le somment d’Otchogorria. On voit les sentiers qui passent par le flanc est pour rejoindre Arrestélitako Lépoua, entre Sarimendi et Izeyto. Kartchila est dans le fond.
Nous avons en fait shunté le trajet entre Otchogorria et Eskantolha. Ce trajet est facile (il passe sur le flanc est de Sarimendi et va rejoindre à Anhaouko Kurutché une branche du chemin carrossable qui va à Eskanthola) et quasiment sans dénivelée, mais assez long.
D’après Didier Constance, les Allemands ayant une « base » aux Cayolar d’Iguéloua, le chemin devait passer à l’est d’Izeyto, et non à l’ouest, ce qui paraît le trajet le plus logique.
Nous sommes pour notre part montés en voiture jusqu’à Eskantolha par la magnifique route pastorale d'Ascaray, qui part avant le gîte de Logibar . Puis nous sommes montés d’Eskantolha à Belhay, avec retour par Kartchila et le port de Binbaleta.
« L'enneigement commençait, et nous voyions distinctement, dans la nuit assez claire, sur notre droite, la chaîne frontières, dentelée de pics, toute blanche, à près de 2000 mètres d'altitude (en face de nous : le Otxogorrigañe, 1923 mètres). Longtemps, nous marchâmes, sur la neige glacée, visant une dépression de la haute barrière : le port de Binbaleta. »
« La fatigue était venue pour tous, nous prenions du retard, notre file s'allongeait sur des centaines de mètres, j'avoue avoir fait partie des derniers, parmi les plus épuisés. Mais derrière moi, un grand et fort gaillard, d'une vingtaine d'années, ne tenait plus debout : il était soutenu, sous les aisselles, par deux de ses amis. Nous arrivions à Eskantola, sous Binbaleta. »

« Éloi Eyheramendy et les autres guides basques partirent au grand galop en plein sud. Ils abandonnaient la direction du port de Binbaleta pour celle du Belhai, plus haut et plus difficile, mais ignoré des Allemands. »

Binbaleta, depuis Eskantola.

Et plus à l’ouest, la dépression du port de Belhai.
« Eyheramendy nous sauvait la vie : son œil d'aigle avait perçu, aux premières lueurs de l'aurore, la présence des Allemands sur le Binbaleta. Nous apprîmes par la suite qu'ils y avaient transporté cette nuit-là, à dos de mulet, une mitrailleuse lourde, pour mieux nous « recevoir ». Ils avaient été renseignés par un traître local qui resta inconnu.
La file indienne de la quarantaine d'évadés s'allongeait encore, en tentant de suivre les véloces guides basques dans le jour naissant. En peu de minutes, une grande distance sépara les plus frais des traînards - ce bien malheureux garçon qui ne tenait plus debout fut abandonné par ses amis - Il se traîna longuement, de plus en plus loin derrière, pour être finalement abattu par les Allemands - car les balles ne tardèrent pas à siffler. Nous contournions même un piton où un soldat montait la garde et qui se mit à tirer, d'assez près. Heureusement, le gros de la troupe allemande, située au Binbaleta, ne put déplacer la mitrailleuse de façon valable. Elle dut se contenter de tirer au fusil, de très loin. Le port de Belhai était encore lointain, une zone de montagnettes « russes » nous en séparait, complètement enneigée. »

Le port de Belhai.
Sans doute les Évadés sont-ils montés pleine pente dans la neige, et non en écharpe, comme le font les traces actuelles qui vont rejoindre le bas de la falaise de Kartchila.
« Les balles des fusils de guerre claquaient dans la glace tout autour des fuyards, avec un peu plus de précision. C'est que les Allemands abandonnaient leur position de Binbaleta pour se précipiter vers Belhai, et se rapprocher de nous. Enfin arriva la dernière montée, une vraie falaise glacée, ou toute trace du sentier estival se trouvait évidemment occultée. Devant moi passait le gros de la troupe, derrière moi s'allongeait la file des malheureux encore plus épuisés que moi, avec - au loin - une silhouette quasi immobile, celle du camarade qui allait mourir : c'était un excellent jeune homme du piémont pyrénéen, fils unique d'une pauvre veuve... »
Il s’agit de Robert Labat, dont Zelaian a retrouvé la trace sur le monument aux morts de Béhasque-Lapiste, même si la date annoncée semble être celle à laquelle il a été retrouvé, et non celle de sa mort.
http://www.pyrenees-team.com/forumpteam ... =15#p91896
« Enfin, je franchis la crête, après une dure grimpée à quatre pattes, sous le claquement des balles. J'eus le tort de me dresser de toute ma taille pour sauter de l'autre côté, où m'attendait plus d'un mètre de neige molle. Une seconde à peine après que j'eus ainsi quitté la crête du Belhai, une balle passa exactement à l'emplacement qu'occupait mon corps à l'instant d'avant... »

Au port de Belhai.
Sur lequel veille la haute silhouette de Kartchila.

« Devant nous s'ouvrait la descente vers Venta de Araco ».

Descente dominée par Otchogorrigagna et Chardékagagna.

Le port de Binbaleta, depuis les pentes de Kartchila.

Et la plaque qui commémore d’autres évasions…
Que conclure de cette approche « en pièces détachées » ?
« L’intégrale » AR dans la journée ( + ou – 1200m deD+ de Bilho à Eskantolha + 300m d’Eskantolha à Belhay) fait environ 1500 de D+. Ce n’est pas si énorme, mais c’est long : de Bilho à Jandoy, on passe 1 heure à plat sans déniveler, et du col des Trois Croix à Eskantolha, on doit faire aussi 2-3 heures sans quasiment déniveler. Ce qui veut dire en clair que ces parties seront aussi longues à la montée qu’à la descente !
L’intégrale AR dans la journée est donc réservée aux très bons marcheurs.
Pour les autres (moi en l’occurrence…) le mieux serait donc de prévoir, soit un bivouac (à Eskantolha, par exemple), soit une « voiture-relais », qui récupérerait les troupes (à Eskantolha aussi, après redescente de Belhay), ou carrément à Venta de Arraco (Bilho-Arraco est faisable dans la journée).
Ceci dit, on est sans doute un peu loin du « chemin historique ». Il y a bien des points qui restent dans le vague, et le resteront sans doute définitivement, maintenant, les informateurs ayant disparu.
Mais la course est superbe et porte à la réflexion et au « travail de mémoire ».
Avis aux amateurs, donc !
« Je quittai Eyheramendy, dont je vois encore la silhouette, se découpant sur la haute falaise frontalière... Je fouillai mes poches et y trouvai trois pièces d'argent, de 10 francs comme il y en avait quelques-unes encore. Je les lui tendis. Voici sa réponse : « Garde ça, petit, car en Espagne elles conserveront une valeur ». Cet homme avait tout risqué pour un salaire infime et voilà ce qu'il était capable de dire. (Il vient de mourir, octogénaire, dans sa maisonnette de Xuhurtia-Sainte-Engrâce [l'article de Pierre Durban date de 1991]). Je voulais écrire son épopée, ce qu'il refusait avec autant d'énergie que de douceur, exigeant pour lui et les siens le voile d'une humilité « qui n'était pas de ce monde ».
