medinenko a écrit :Salut Ludo
...
Pour la discussion ci-dessus, tu as parfaitement raison, l'essentiel est le plaisir. Plus jeune, on a tendance à privilégier la performance physique. Plus tard, on privilégie d'autres aspects. Véron le disait très bien, il reconnaissait même être orgueilleux étant jeune, voulant minimiser les temps établis sur les topos pour telle ou telle ascension.
Juste pour étayer l'idée de marcher seul, je dirais aussi que c'est souvent un gage de sécurité. On est constamment concentré à chercher le meilleur chemin, la meilleure prise dans les moments d'escalade. A deux ou plus, il me semble que c'est moins le cas. A deux, on est moins prudent, car on se fie à l'autre. Si l'autre pense que ça passe, alors on y va. Bon c'est imagé, mais c'est souvent vrai. A deux, on accélère ou on freine mais on est rarement à son rythme, pour pouvoir rester ensemble. Je répete la fameuse phrase de Russell : marcher à deux est un bonheur, seul c'est une leçon.
Pour marcher seul, il faut bien entendu être sûr de soi, de sa forme physique et de son matériel. Et là je rejoins la très importante phrase de Jean-Jacques récemment sur ce forum, que je salue, ayant lu maintes fois ces exploits pyrénéens, le mot n'est pas trop fort, sur le site randonnée Léger depuis 2006 au moins:
"C'est typiquement sur des itinéraires comme la HRP qu'avoir un sac léger prend tout son sens. Quel sécurité de pouvoir poser le bivouac n'importe quand ! Dans les 5 minutes où un problème survient, nous pouvons être sous la tente, au chaud dans le sac de couchage avec un thé entrain de chauffer."
Sur l'évolution de la pratique de la montagne avec l'âge, j'emprunte à nethou, qui nous a offert cette remarque profonde du grand voyageur Nicolas Bouvier: "On croit qu'on va faire un voyage, mais bientôt c'est le voyage qui vous fait, ou vous défait". Pour nous, qui apprenons les Pyrénées par corps et par coeur, la montagne nous marque profondément, comme le montre aussi le succès du "jeu montagnard du c'est quoi ?" qui illustre bien l'impact dans les mémoires.
Sur l'intérêt de marcher seul, la HRP m'a appris deux choses: la première, que j'étais fait pour cela, la seconde, que la solitude en montagne, ça s'apprend.
La différence fondamentale entre les introvertis et les extravertis, quelque soit leur niveau de sociabilité, c'est la façon dont ils se ressourcent: les uns rechargent leurs batteries en s'écartant des autres, les autres font le plein d'énergie au contact de leurs semblables.
Mais un autre facteur me semble différencier les montagnards, sans constituer la moindre hiérarchie, c'est le besoin d'intimité avec les paysages, les ambiances... plus ou moins conciliable selon les personnes avec le besoin de rencontres humaines.
Sous l'angle de la sécurité, je suis d'accord avec toi, être seul stimule la vigilance même si cela ne suffit pas toujours à la réveiller à temps.
L'importance du rythme dans la marche me paraît aussi d'une grande importance à la fois pour le confort et l'endurance, mais aussi pour atteindre, par effet hypnotique, une véritable profondeur intérieure.
Un petit exemple concret, qui ne se veut surtout pas exemplaire: Pendant longtemps, mon grand plaisir à la descente c'était de dévaler la pente, non pour un quelconque record ni pour distancier d'autres randonneurs, mais pour la jubilation de dépenser mes forces économisées à la montée. Les genoux souffraient mais encaissaient mon enthousiasme, les chaussures beaucoup moins. Puis, j'ai découvert sur les pierriers, emporté dans mon élan, que mes pieds étaient beaucoup plus "intelligents" que ma tête et qu'à condition de ne jamais s'attarder sur leur support, ils trouvaient instinctivement où se poser en une fraction de seconde, au delà de la vision consciente. Entré dans cette sorte de transe, je parvenais à la fois à épargner complètement mes articulations et à franchir toutes sortes d'obstacles à une vitesse hallucinante. Au fond de ma tête, ma raison hurlait "Tu vas t'exploser" mais une sorte d'ivresse insensée m'assurait au contraire qu'à condition d'enchaîner très rapidement les pas sans réfléchir je ne pouvais pas tomber. Et je ne suis jamais tombé dans cet état. Parvenu au bas du pierrier, mon cerveau avec un temps de retard faisait défiler les images de ces prises éclairs, de ces pierres basculantes, surgies de nulle part. L'état de mes chaussures me prouvaient qu'elles n'avaient pas souffert et que je n'avais pas rêvé.
Cette expérience est sûrement déraisonnable, à déconseiller, mais elle éclaire un peu celle des lung-gom-pas.
Aucun terrien n'est un extraterrestre ! Et lorsque nous commençons à croire aux exploits humains en montagne, que nous nous prenons pour les héros du paysage, le spectacle d'un jeune isard ou d'un bébé bouquetin devrait nous ramener à l'humilité !